Discours de Mickäelle PATY prononcé en Sorbonne, samedi 15 octobre 2022 TON HONNEUR Je remercie bien évidemment M. Pap Ndiaye Ministre de l’Education Nationale de nous faire l’honneur de sa présence. Je remercie les élèves et les professeurs qui ont participé au 1 er concours du Prix Samuel Paty dont le thème était : « Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? » Je remercie tous les membres du Prix et je remercie l’APHG pour être à l’origine de ce prix et de l’avoir soutenu depuis plus d’un an. Je remercie l’association Dessinez Créez Liberté de nous avoir offert des DESSINS. Et je voudrais également remercier l’artiste Kaotik 747 en duo avec Gino et toute son équipe pour mettre en ligne demain le 1 6 octobre 2022, une chanson qui rend hommage à mon frère et à tous les enseignants. Parce qu’il y a des causes et des valeurs qui sont non partisanes et qui se doivent d’être universalistes pour dire « c’est la dernière fois ». En marge de la cérémonie organisée avec les classes lauréates, je remercie l’APHG de me permettre aujourd’hui d’expliquer pourquoi ce prix à un nom… SAMUEL PATY. Après avoir vu le Devoir de faire Front avec le Peuple dans la rue, après avoir vu le Devoir de Mémoire avec ces innombrables lieux, plaques et salles qui portent son nom désormais. Et aujourd’hui la concrétisation du Prix Samuel Paty portée par une poignée de professeurs qui poursuivent l’oeuvre de mon frère : enseigner c’est expliquer, et non se taire. En attendant le Devoir de Vérité, je viens ici reprendre son cours pour assurer un dernier Devoir celui de lui rendre son Honneur. Pour cela, il me semble nécessaire de reprendre les objectifs du programme d’Education Morale et Civique de 4e. Ces valeurs sont notamment la Dignité, la Liberté, l’Egalité, la Solidarité ou encore la Laïcité. La méthode des dilemmes moraux a pour objectif de faire croître l’autonomie morale et de développer les capacités de raisonnement des élèves pour forger des esprits critiques. Un esprit critique n’accepte aucune assertion sans s’interroger sur sa valeur. Elle vise aussi le respect du pluralisme des opinions dans le cadre d’une société démocratique, tout en rappelant que la loi civile en est le garant. Je dédie ce discours à toutes les personnes mortes, blessées, torturées ou incarcérées dans le monde pour avoir osé s’exprimer et je le fais pour faire comprendre qu’on ne met pas un  » oui, Mais » après le mot décapitation, en France on met un point. « Etude de situation : La Liberté de la presse » et « situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » sont les 2 cours que mon frère a présenté à ses classes de 4e suite à l’attentat de Charlie Hebdo. Son 1 er cours intitulé « Etude de situation : la Liberté de la presse » est là pour rappeler que toutes les libertés sont des conquêtes humaines et qu’il n’en a pas toujours été ainsi, précisant que les journaux et les livres étaient soumis à la censure. La libre communication des pensées et des opinions est définie comme un des droits les plus précieux de l’homme (art 11 de la déclaration des droits de l’homme). Il précise également que cette Liberté reste limitée par la loi de 1881 qui impose de ne pas publier de fausses nouvelles ce qui pourraient troubler la paix publique. Celle-ci interdit également la diffamation des personnes.
L’attentat de Charlie Hebdo du 7 janvier 201 5 est mis en exergue pour expliquer que la Liberté de la presse peut être menacée. La vague de manifestation en soutien aux journalistes, cette solidarité inconditionnelle au lendemain de cet attentat n’avait pour but que de montrer qu’aucune intimidation ne nous ferait abandonner la Liberté d’expression. Rien n’est acquis définitivement et il ne faut pas oublier que si une de nos libertés est menacée, il faut en assurer la défense pour la préserver. Il expliquera également que dans les pays où la Liberté d’expression n’existe pas, des personnes sont condamnées à la prison ou à mort à cause de leurs idées, par exemple les journalistes de Reporters sans frontière sont là pour dénoncer ce qui est tu. Mon frère finira ce cours en annonçant que lors de la prochaine heure, il reviendra sur l’attentat de Charlie Hebdo en montrant les caricatures qui ont fait polémique. Son 2éme cours intitulé situation de dilemme : « Être ou ne pas être Charlie ». Trois caricatures représentant le prophète Mahomet sont montrées quelques secondes, ces caricatures étant issues du réseau Canopé de l’Education Nationale. Dans ce cadre-là, il interroge sa classe ainsi : faut-il ne pas publier ces caricatures pour éviter la violence ou faut-il publier ces caricatures pour faire vivre la Liberté. Une Liberté peut rentrer en conflit avec d’autres droits ou le respect dû aux autres personnes. En résumé, Samuel n’a pas fait l’éloge de la caricature mais il a défendu la Liberté d’en dessiner une. Les caricatures peuvent choquer mais ne sont pas faites pour tuer. Il n’y a aucun cas recensé de décès pour avoir eu sous les yeux une caricature. Les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse. Cette Liberté est encadrée par la loi. C’est ainsi que Samuel donnera à sa classe la possibilité de comprendre que la Laïcité permet, comme le dira d’ailleurs une de ses élèves, de croire et de ne pas croire, et, dans les 2 cas, « sans pression ». Cette formule est d’ailleurs celle de M. Patrick Weil et elle l’a retenu. En droit français, il n’existe aucune infraction sanctionnant les atteintes aux divinités, dogmes, croyances ou symboles religieux autrement dit le blasphème. Il faut donc faire la différence entre les atteintes aux croyances et les atteintes aux croyants. Personne n’est obligé d’aimer Charlie Hebdo et encore moins de l’acheter et de le lire. On a le droit de ne pas aimer les caricatures et de le dire. La paix civile dans une société démocratique est garantie par cette tolérance que d’autres ne pensent pas comme nous. Dans un Etat de droit, personne n’a le droit de menacer ou de tuer, on s’adresse à la justice pour régler ses différents. Samuel apprenait à ses élèves à se confronter à ce qui peut déplaire tout en leur laissant exprimer leur désaccord. Il a opposé le langage à la violence. Alors oui Samuel a déconstruit les arguments des islamistes en montrant leur vacuité dans notre République Laïque. Il a accompli son devoir et il a tenu ce poste pendant 23 ans jusqu’en 2020, pour la dernière fois. J’aimerais également revenir sur un point important qui ne semble pas avoir été compris il y a 2 ans et encore aujourd’hui par beaucoup. Lors de la projection pendant quelques secondes des caricatures, Samuel propose et non impose aux élèves qui auraient peur d’être choqués de ne pas regarder ou de sortir quand une AVS est présente et non pas seulement aux enfants musulmans. C’est un acte de prévenance envers un public encore jeune. Des enfants de 13/14 ans par leur sensibilité ne veulent peut-être pas voir des dessins appelant à créer de l’émotion. Il leur a ainsi laissé le choix- choix possible dans une société laïque uniquement. Choix qui ne semble pas avoir été assumé par la suite par 2 élèves.
La Laïcité est le respect de toutes les religions. Je mettrai en parallèle la Laïcité de Jules Ferry qui consiste de ne pas froisser et donc de ne pas forcer des enfants à regarder des caricatures et le principe de neutralité qui lui tend à appliquer à tous le même traitement. Je répondrai que dans cette situation de dilemme, le fait de PROPOSER à TOUS de ne pas voir une caricature respecte donc autant la Laïcité que la neutralité. Par des amalgames, c’est à dire la confusion volontaire de 2 choses distinctes, on finit par transformer un acte laïc et neutre en une discrimination. En donnant au faux, l’apparence du vrai on finit par faire passer un comportement laïc pour un comportement raciste. Il me reste un dernier point à soulever, il a été écrit que dans un souci de ne pas froisser, il avait tout de même froissé. C’est ainsi qu’on a pu qualifier son geste de maladresse. Je vous expose donc une situation de dilemme : Imposer de voir les caricatures reconnues comme blasphématoires et proposer de ne pas voir les caricatures perçues comme une discrimination. L’absurdité de cette situation touche au comique puisque les 2 propositions VOIR et NE PAS VOIR semblent froisser. Cela tend surtout à faire passer une réaction d’une minorité pour celle de la communauté musulmane tout entière. Alors que dans les faits, pour la majorité des musulmans, la France est une République Laïque qui ne reconnait pas le blasphème et que dans un Etat non religieux on ne peut reconnaître qu’il y est une loi divine supérieure à celle des hommes. Enfin appliquer les règles de la Laïcité à certains et non à d’autres comme certains le voudraient, c’est octroyer des droits spécifiques à des individus pour motif religieux. Cela relève de la discrimination institutionnelle au plus haut niveau de l’Etat, contraire à la constitution, à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ainsi qu’à la convention européenne des Droits de l’Homme. Comme cela n’est pas possible, le fait de se positionner en victime, alors même que le choix est préservé de voir ou ne pas voir, a pour projet de nous faire renoncer aux caricatures, à notre Liberté d’expression et à cette Laïcité qui ne trouverait plus de sens dans une société multiculturaliste. Faut-il rappeler que la Laïcité comme le dit si bien mon ami M. Henri Pena Ruiz  » La Laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ». Les utilisations de leviers comme les plaintes victimaires, comme un antiracisme dévoyé et au besoin la PEUR ne sont là que pour rendre nécessaire et acceptable de renoncer à notre école laïque. A cela, je viendrais opposer 2 choses : le nombre face au bruit. Je poserais une question simple combien d’enfants se sont sentis offensés ? La réponse se trouve dans le rapport de l’Education Nationale 2 admettons 3 si on compte également la jeune fille absente. Donc 3 élèves sur les 60 qui composent les 2 classes de 4e de mon frère et qui ont bien évidement eu le même cours. Est-ce que cela n’est pas problématique de dire qu’il a froissé LES élèves ? Cette attitude a engendré 2 conséquences. Premièrement de faire passer une réaction minoritaire comme majoritaire, rendant mon frère coupable aux yeux de tous de discrimination. Deuxièmement reconnaître qu il ait pu commettre une erreur en lui demandant de s’excuser, a donné toute légitimité à ce qui était clairement visible, validant ainsi une campagne islamiste menée par des parents faussement indignés. Cette campagne sous couvert d’islamophobie ce voile d’impunité qui rend possible la propagande de la haine, ce djihadisme d’atmosphère sera responsable de la mort de Samuel. Dans le djihadisme
d’atmosphère, il n’y a aucune dilution de responsabilité, chacun a la sienne et de le reconnaître c’est bien cela qui servirait à la manifestation de la vérité. Alors je vous le demande entre celui qui fait preuve de prévenance de proposer de ne pas voir les caricatures et celui qui conforte les plaintes bruyantes de parents froissés, Qui donne des arguments aux islamistes ? J’invite également les adeptes du  » Oui, MAIS… » et les inverseurs de culpabilité à prendre lecture de la note du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation du 27 août dernier. Celle-ci « évoque une offensive anti-Laïcité menée sur les réseaux sociaux visant à déstabiliser l’institution scolaire et soulève que du personnel des établissements participe implicitement à la propagande salafo-frériste à l’école ». Il va être de plus en plus difficile de contorsionner les faits et de manipuler les opinions à dessein sans afficher clairement un militantisme à l’idéologie islamiste. Alors NON, Samuel n’est pas responsable de sa propre mort. « On ne prostitue pas impunément les mots » disait Camus. Il faut pourtant voir ces vérités en face sinon toutes mesures correctives resteront vaines. Et il y aura un « ce n’était pas la dernière fois ». Tant que rien ne change, c’est que rien n’est fait. Pour conclure, je vais vous lire un texte qu’une ancienne élève a écrit après sa mort. Merci pour le travail que vous avez fait, vous m’avez enseigné l’Histoire Géographie comme personne ne l’avait fait avant. Merci d’avoir été mon professeur pendant 2 ans. Merci d’avoir été d’une certaine manière dans ma vie (on se voyait du lundi au vendredi quand même). Merci pour ses blagues à la fin des cours, certes qui n’étaient pas vraiment drôles mais du moins, il essayait de faire en sorte que si on allait mal çà pouvait nous remonter le moral. Merci Monsieur, merci pour tout » Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? Je crois qu’en 2022, on n’aurait pas dû devoir soulever ce débat. Alors vous élèves et professeurs montrez nous, démontrez-nous qu’on peut encore répondre à cette question par un OUI. Pour… pour « la dernière fois ». Merci